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Ce jeudi 5 juin, j’ai assisté à une matinée dédiée aux marques et à l’intelligence artificielle, au sein de l’auditorium du Groupe Les Echos Le Parisien. Décrite comme “no bullshit”, cette succession de tables rondes avait pour ambition d’explorer les perspectives – ou les injonctions ? – de l’IA autour du levier médiatique. L’événement était organisé par Open Garden et animé par son fondateur, Nicolas James, et comme souvent, les panels et les questions ont été précis. Retour sur ce moment riche et rythmé.
Mon texte suivra l’ordre chronologique des interventions, mais consiste plus en ma vision qu’en un compte-rendu des propos tenus.
Introduction
Pierre Louette, PDG du Groupe Les Echos Le Parisien
L’omniprésence de l’IA oblige à repenser nos usages. Qu’on aille la chercher (ChatGPT, Claude, Le Chat, Gemini) où qu’on nous l’impose dans nos outils (Grok, MetaAI, Apple Intelligence, Google IA mode), on ne pourra bientôt ne plus faire sans. Nous sommes de plain-pied dans la prochaine révolution industrielle. Les gens lui posent des questions et l’IA nous répond, en allant piocher ici et là ses informations. Sans qu’on ne visite plus le créateur dudit contenu.
Les groupes de presse ont tout de suite vu le problème : comment continuer à vivre de leurs contenus si leurs sites web – sur abonnement ou financés par la publicité – ne sont plus visités ? La discussion autour de la rémunération de ceux qui alimentent les IA n’est pas nouvelle, mais elle n’est pas encore tranchée.
À l’inverse, les marques, qui ont besoin d’exposition, voient dans cette révolution une occasion de briller. Loin de l’atomisation du search traditionnel, ce terrain encore en friche est une opportunité pour elles. Dès lors, comment nourrir ces modèles pour qu’ils fournissent aux populations des informations maîtrisées et souhaitées ? La première étape est de définir son territoire de marque, afin de définir les limites de sa marque et de nourrir les IA dans ce sens.
Coty + Jellyfish :
Arnaud Marro, Global Senior Director Media Performance & Partnerships chez Coty
Marie Raimbert-Galtier, Managing Director chez Jellyfish
Comment répondre aux intentions de requêtes hyper ciblées dans les IA Gen ? En search, les requêtes courtes sont populaires. Même la longue traîne dépasse rarement les 7-8 mots. Dans les IA gen, les questions sont à l’inverse précises, comportent parfois plusieurs phrases et sont hyper personnalisées en fonction du contexte. Un vrai casse-tête.
La première chose à faire est de monitorer : calculer la part de voix des marques dans les IA. Mais contrairement aux moteurs de recherche, les IA ne communiquent pas – encore – sur les informations qu’elles donnent à l’utilisateur, ni sur les requêtes (impossible vu leur complexité) de ceux-ci. Ce sont donc des outils tiers qui permettront cette analyse, avec de nouveaux KPI : visibilité, position, richesse du contenu, concurrence. Des KPI copiés du search, mais adaptés à l’IA gen du fait de ses spécificités.
Tout est scanné par les IA pour fournir la meilleure réponse à l’utilisateur. Publicités, sites, articles, annonces, vidéos, rien ne leur échappe – d’où la nécessité de bien définir son territoire. Elles ont cependant des sources privilégiées, par nature, tout ce qui est participatif. On le voit avec le retour en force de Reddit, mais aussi avec des comparateurs, des blogs… Son format préféré est le multimodal, lorsqu’elle peut sur une page lire à la fois un texte, des images, une vidéo. Et elle a tendance à s’inspirer des contenus d’awareness, plutôt que de conversion, car laissant plus de place au libre-arbitre. Et si au final, ne faut-il pas considérer les LLM comme des influenceurs ?
SNCF Connect + Castorama + Ticketac :
David Nedzela, Chief Marketing & Customer Officer chez SNCF Connect & Tech
Marie-Laure Cassé, Directrice digital, marketing et clients cher Castorama
Morgane Thieblemont, CMO chez Ticketac
Les chatbots ne sont pas nouveaux. On nous les a vendus comme les premières IA. Un assistant virtuel capable d’orienter l’utilisateur d’un site qui ne trouve pas ce qu’il cherche. Si les applications dérivées ont été nombreuses, allant jusqu’à la vente, ces chatbots n’avaient pas grand chose d’intelligent. Ils se contentaient d’intégrer l’utilisateur dans un circuit où des réponses pré-enregistrées l’attendaient à chaque mot clé détecté.
Aujourd’hui, les LLM modernes ont mis sur le marché des API qui permettent d’intégrer les modèles à toute sorte d'applications, et en premier lieu les chatbots. Les bénéfices sur l’expérience client sautent aux yeux. On va enfin avoir en face de nous un vrai chat, qui comprend mes requêtes et m’apporte la bonne réponse. Encore faut-il que la base de données soit suffisamment nourrie…
Mais il y a une autre utilisation du chatbot qui est tout aussi intéressante : en interne. Un chatbot connecté à tous les outils internes, d’analytics, de monitoring, aux serveurs, etc. serait capable de donner la bonne information au salarié qui en a besoin sans que celui-ci n’ait à la chercher partout. Un gain de temps énorme grâce à ce super assistant intégré à l’entreprise. – Se pose la question de la confidentialité des données internes, on y reviendra.
Renault + Fifty-Five
Laurent Laporte, Directeur precision marketing & performance chez Renault Group
Sandra Castellani, Managing Director Automotive chez Fifty-Five
Les modèles d’IA sont performants dans de nombreux secteurs, et ne se contentent pas que du marketing. Les applications sont même souvent trans-services et croisent plusieurs départements. Intéressons-nous néanmoins à une application précise bénéfique au service média : le benchmarking.
L’avantage dans le bench média, c’est que les librairies d’ads sont publiques et complètes. Il n’est alors pas très compliqué – en termes de workflow – de créer un agent IA qui scanne les publicités de ses concurrents et en fait une analyse comparative vs soi-même. En plus de se comparer, cela permet d’identifier les combinaisons créatives les plus performantes et d’accélérer les phases de test et d’itération.
Là encore, la réussite réside dans la capacité à bien prompter le modèle pour qu’il inclut et exclut les bonnes sources.

Nestlé
Camille Falguière, CMO chez Nestlé
Chez Nestlé, la production – création ? – publicitaire est centralisée à l’échelle mondiale par l’IA. Puis les pays ou régions ont la latitude de personnaliser les annonces en fonction des spécificités de leurs marchés et marques locales. C’est la naissance d’un binôme IA + humain qui augmente la direction artistique des marques.
Je ne sais pas si c’est l’ADN open source d’OpenAI qui induit ça, mais l’utilisation de l’IA par les marques les rends plus partageuses. Des équipes documentent par exemple leur process dans des livres blancs dénués d’intérêt commercial. Nestlé lançait le jour de la table ronde un outil permettant à n’importe quel marketeur d’aller poser une question au modèle. Ce dernier recherchera alors dans sa base de données compilant plus de 43 000 études consommateurs dans le monde. L’outil se veut participatif, c'est-à-dire que l’utilisateur peut ajouter sa propre étude pour enrichir le modèle. Pas de trace de l’outil sur le web néanmoins, donc pas d’information sur une éventuelle monétisation.
BlaBlaCar
Emmanuel Martin-Chave, VP Data chez BlaBlaCar
Depuis le début de l’article, il est essentiellement question de données de marque, ayant pour but de faire rayonner un discours maîtrisé. Il y a aussi – et surtout – un enjeu de donnée interne dans les projets à base d’IA au sein des entreprises.
Dans tous les cas d’usage d’IA, il y a avant tout une structuration et un travail à faire sur la donnée qui conditionne la réussite du projet. Bien sûr, de nombreux POC ne nécessitent pas un data lake, mais la plupart des programmes structurants ont besoin d’une architecture et d’une gouvernance data abouties. Y compris dans les accès qu’on autorise ou non à l’IA.
L’IA n’est pas magique, il est toujours bon de le rappeler.
Jellyfish
Thomas Skowronski, VP Product chez Jellyfish
Et si l’IA telle qu’on la pratique, c’était déjà hier. Aujourd’hui, tout le monde ne parle que d’une chose : l’IA agentic. Une jolie locution pour désigner les agents AI, ces automatisations qui associent des modèles à des app pour réaliser des tâches.
Le search se sent bouleversé avec l’arrivée des LLM et les questions que les utilisateurs leur posent ? Les marques devraient l’être aussi. Parce que dans un futur pas si lointain, il est probable que chacun ait son propre agent IA, à qui l’on déléguerait les tâches répétitives et inintéressantes. Dans ce cas, si l’on a un problème, on ne cherchera plus une solution soi-même, on demandera à son agent de nous trouver les meilleures. Il ne nous restera qu'à choisir. Peut-être même l’agent achètera pour nous, connaissant nos préférences et notre fonctionnement.
On peut interpréter ça comme une généralisation du parcours zero-click, initié il y a presque 10 ans par Google et sa position 0. Les KPI changent, passant du clic à la citation. C’est à la fois effrayant et rempli d’opportunités.
On est peut-être encore dans un épisode de Black Mirror. Mais c’est une perspective sur laquelle il faut se pencher, car des exemples existent déjà. Et les marques doivent réfléchir à ces nouveaux usages au risque d’être sérieusement dépassées. Leur nouvel interlocuteur sera un agent. La donnée leur première interface.

Scope3
Paul-Antoine Strullu, Head of EMEA chez Scope3
En parlant d’avenir, il y a une chose dont on n’a pas encore parlé : la publicité dans les IA gen. Sam Altman a juré que jamais ça n’arriverait. Comme Mark Zuckerberg et tant d’autres avant lui. Qu’on se le dise, les IA gen vont ouvrir leurs interfaces à la publicité. Car le modèle d’Internet, c’est la publicité. C’est ce qui le rend gratuit et à peu près neutre.
On risque donc de se retrouver dans des situations cocasses. La réponse payante vs la réponse payée (dans le cas où les contenus poussés seraient rémunérés). Avec une réponse fournie par un LLM qui sera payante, et une variation qui sera achetée par le LLM. Absurde ?
Mais l’on peut aussi se retrouver dans des situations où les contenus de qualité seront oubliés au profit des contenus publicitaires. Et comme on n’est pas sur une SERP avec des millions de réponses gratuites face aux quelques payantes, il faudra trouver le bon modèle. Aujourd’hui par exemple, sur de nombreuses plateformes, on choisit de démonétiser les vrais contenus de qualité pour les rendre accessibles et favoriser leur diffusion.
Mais avant de réfléchir à la pub, l’IA doit nous permettre de résoudre encore bon nombre de situations. En marketing, si le biding est résolu par les agents, la promesse originelle (le bon message, au bon moment, sur le bon canal, à la bonne personne) ne l’est pas. Tout comme la prise en compte de la donnée en temps réel pour prendre une décision. L’IA se base encore sur les KPI passés pour décider de l’avenir. À nous marketeurs d’inventer ces usages.
Pernod Ricard + AXA + L'Oréal
David Lepicier, Global AI Director chez Pernod Ricard
Jérôme Amouyal, Marketing Effectivness et Media Global Director chez AXA
Jean-Paul Paoli, Gen AI Business Transformation Director chez L’Oréal
L’IA n’est pas un outil où l'on décide ou non d’aller. C’est un tsunami qu’il faut anticiper et sur lequel il faut surfer. Sans tomber. Parce que l’IA est surpuissante. Pas en termes mathématiques, ça c’est acquis. Mais en termes d’adoption. MetaAI revendique déjà 1 milliard d'utilisateurs quelques semaines après sa généralisation sur ses plateformes.
On a subitement confié aux plateformes d’IA un immense pouvoir, qu’elles ont bien entendu accepté. Elles décident où non d’afficher votre marque. Elles choisissent ce qui est le plus pertinent à montrer, se basant sur leurs propres critères de qualité et ceux de leurs utilisateurs. Pas sur ce que dit la marque. Il y a ainsi une nouvelle image à développer : une réputation algorithmique.
Le discours rejoint la lisibilité. Le branding devient technologique.